Mohamed VI appelle à renforcer la justice sociale après la vague de protestation des jeunes au Maroc

Investi de la djellaba jaune de la royauté alaouite, Mohamed VI a adressé ce vendredi après-midi un message au Parlement et au Gouvernement dans lequel il appelle à renforcer la justice sociale et territoriale après la récente vague de protestation des jeunes Marocains, la plus importante depuis deux décennies. « Il ne s'agit pas pour l'instant d'une vaine devise ou d'une priorité, mais plutôt d'une orientation stratégique (de la monarchie vers les pouvoirs publics) qui requiert toutes les énergies et dans laquelle chacun doit s'impliquer », a prévenu le souverain dans le discours d'ouverture de l'année parlementaire, dans lequel il exprime habituellement les orientations des programmes des pouvoirs publics. Le mouvement GenZ 212, qui mène la révolte de la génération Z depuis fin septembre dernier, a suspendu ses mobilisations à l'occasion du discours du roi, auquel il a directement présenté ses revendications pour l'amélioration des soins de santé, de l'éducation et de la lutte contre la corruption, après avoir exigé la démission du premier ministre, le libéral Aziz Ajanuch.

Acclamé par des milliers de personnes – dans une démonstration de mobilisation citoyenne sans précédent à Rabat – tout au long de son parcours du palais royal au siège du Parlement – ​​du balcon duquel il a salué la foule avec des gestes retenus – le monarque n'a pas répondu directement dans son discours aux revendications de la jeunesse, même si ses paroles ont montré qu'il faisait écho aux attentes placées sur sa figure, comme clé de la direction du pouvoir au Maroc.

Mohamed VI a rappelé aux parlementaires et aux ministres que commence la dernière année d'une législature commencée en 2021 et que, s'il n'y a pas d'avancée électorale, elle doit se terminer en 2026. Les analystes de la presse marocaine exposent, quant à eux, les alternatives qu'offre le cadre constitutionnel au chef de l'Etat pour mettre fin au mandat du Cabinet ou forcer la dissolution du Parlement.

Pour l’instant, le roi s’est limité à établir la ligne directrice selon laquelle « il ne doit y avoir aucune contradiction ou rivalité entre les grands projets nationaux », comme la construction de stades de football et de grandes infrastructures pour la Coupe d’Afrique des Nations, qui débute en décembre, ou la Coupe du monde 2030 (co-organisée avec l’Espagne et le Portugal) et les programmes sociaux. Mohamed VI a ainsi fait allusion à la réforme de l'enseignement public et de la santé, dont la précarité a été dénoncée par les jeunes lors de manifestations à travers le pays.

« Une attention particulière doit être portée à l'adhésion et à la communication citoyenne sur les initiatives des pouvoirs publics », a souligné le souverain dans un avertissement voilé à l'Exécutif, « ainsi que sur les différentes lois et décisions, notamment celles directement liées aux droits et libertés ».

Les plaintes concernant les restrictions à la liberté d'expression et de manifestation ont été reflétées dans le mémoire de doléances envoyé sur les réseaux sociaux au roi par les jeunes de la GenZ 212 après avoir contourné le Gouvernement et les chambres législatives. Il a cependant été beaucoup plus explicite en appelant à « la création d’opportunités d’emploi pour les jeunes » et à promouvoir « les secteurs de l’éducation et de la santé ».

Comme il l'avait déjà invoqué dans son précédent discours à la nation, en juillet dernier à l'occasion du 26ème anniversaire de son accession au trône, il a appelé ce vendredi à « garantir que les fruits de la croissance profitent à tous (…) avec des droits politiques, économiques et sociaux égaux », et à empêcher la consolidation d'un « Maroc à deux vitesses » entre territoires développés et territoires arriérés.

« La double dimension de justice sociale et de lutte contre les inégalités territoriales est loin d’être un slogan creux ou une priorité à court terme », a réitéré le monarque de la dynastie alaouite, qui a défini ce message comme « une orientation stratégique ».

Sans citer expressément les revendications des jeunes contre la corruption et le népotisme au sein de l'Administration, Mohamed VI a exigé « un changement significatif dans les mentalités et les méthodes de travail, ainsi qu'une culture du résultat enracinée » au sein des pouvoirs publics.

Enfin, il s'est écarté du scénario en appelant au « développement des zones montagneuses, qui couvrent 30 % du territoire national », après les protestations appelées par les sinistrés du tremblement de terre qui a secoué le Haut Atlas il y a deux ans, et qui a causé des dégâts à plus de 60 000 maisons, dont une grande partie n'a pas encore été reconstruite.

Il faudrait mettre en pratique le message du roi, que les jeunes de la génération Z ont exclu des responsabilités qu'ils attribuent au Gouvernement, et obtenir des ressources budgétaires. La ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Alawi, a assuré jeudi soir, lors d'une réception à l'ambassade d'Espagne à Rabat, que le Maroc dispose des ressources nécessaires pour pouvoir répondre aux demandes sociales et en même temps poursuivre le développement des grandes infrastructures avant la Coupe du monde de football 2030.

Trois manifestants morts

Mais outre une augmentation des dépenses sociales, les jeunes de moins de 30 ans qui ont manifesté pendant près de deux semaines dans les principales villes de ce pays du Maghreb exigent également la libération des personnes détenues lors des manifestations et la responsabilisation devant le pouvoir. Dans la ville voisine de Laqliaa, près d'Agadir (sud), trois manifestants ont été abattus par les forces de sécurité lors d'une tentative d'assaut contre un poste de police. Une centaine de jeunes restent en prison en attente de jugement dans tout le pays, tandis que plus de 250 ont été libérés provisoirement, également dans l'attente d'une procédure pénale.

« Exiger du chef de l'Etat qu'il limoge le chef du gouvernement, comme le demandent les manifestants, n'est pas prévu dans la Constitution », prévient Abderahim el Allam, professeur de sciences politiques à l'Université de Marrakech, cité par l'hebdomadaire Le souverain peut dissoudre le Parlement, ce qui implique que le premier ministre reste en fonction en attendant une avance électorale, mais ne peut pas le démettre de ses fonctions. Il existe également la possibilité d'une démission du gouvernement, ce qui pourrait conduire à un affrontement avec le monarque, qui détient des prérogatives constitutionnelles exécutives et nomme directement les soi-disant ministres de souveraineté, comme ceux de l'Intérieur, des Affaires étrangères ou des Affaires religieuses.