Le Conseil des ministres approuve ce mardi la réforme juridique qui laisse les enquêtes pénales entre les mains des procureurs

Le Conseil des ministres prévoit d'approuver ce mardi l'une des plus grandes réformes juridiques de ces dernières années : celle de la loi de procédure pénale (Lecrim), un projet retardé depuis près de 15 ans et qui entraînera un changement structurel dans la procédure pénale. Le texte que le gouvernement enverra au Congrès pour traitement parlementaire implique que les enquêtes pénales ne seront plus entre les mains des juges d'instruction, mais plutôt des procureurs, conformément au modèle qui régit la majorité des pays de l'UE et qui fonctionne déjà en Espagne pour le Parquet européen et pour les délits commis par des mineurs. Le projet comprend d'autres nouveautés, comme une réforme du Statut Organique du Ministère Public (EOMF) qui sépare le mandat du procureur général de celui du pouvoir législatif ; et une limitation de la figure de l'accusation populaire, qui ne peut plus être exercée par les partis politiques ou les syndicats et est limitée aux entités qui ont un « lien légitime » avec l'objet de l'affaire.

La nouvelle loi de procédure pénale sera une loi organique, son sigle ne sera donc plus Lecrim mais Loecrim. Mais au-delà du nom, la règle, si elle est adoptée, signifiera un renversement des procédures pénales telles qu’on les connaît jusqu’à présent. L'actuelle Lecrim remonte à 1882 et, bien qu'elle ait été partiellement réformée des dizaines de fois, la base reste la même telle qu'elle a été élaborée à la fin du XIXe siècle. Le texte que le ministère de la Justice a préparé avec un groupe d'experts composé de magistrats, de procureurs et de juristes a commencé à être forgé il y a des décennies, mais aucun Conseil des ministres, jusqu'à présent, n'a réussi à envoyer le projet au Congrès.

Le modèle qui structure tout le projet est le changement d’orientation des enquêtes pénales, qui ne seront plus menées par des juges mais par des procureurs. Cette formule figurait déjà dans un avant-projet approuvé en 2011, sous le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero, mais il n'y avait pas de temps pour achever le processus. En 2012, l'exécutif de Mariano Rajoy a créé une commission, présidée par le magistrat de la Cour suprême Manuel Marchena, qui a élaboré une règle appelée Code de procédure pénale qui confiait également l'enquête au parquet, mais qui n'est pas parvenue au Conseil des ministres. Et déjà avec Pedro Sánchez à La Moncloa, le Conseil des ministres a approuvé en 2020, à l'époque de Juan Carlos Campo à la tête du ministère de la Justice, un avant-projet qui est celui récupéré par Félix Bolaños à la tête de ce département pour le projet de loi organique que l'Exécutif envisage désormais d'approuver.

Malgré ce consensus théorique, les associations de juges et de procureurs les plus critiques à l'égard du gouvernement ont remis en question ces derniers mois l'intention de l'exécutif d'aborder à ce moment-là le changement de modèle. Leurs reproches se sont concentrés surtout sur le fait que cette mesure historique a été franchie alors que le procureur général de l'État est poursuivi pour un délit de révélation de secrets liés à l'homme d'affaires Alberto González Amador, poursuivi pour fraude fiscale et partenaire d'Isabel Díaz Ayuso. Le projet arrive au Conseil des ministres moins d'une semaine avant le début du procès d'Álvaro García Ortiz, prévu le lundi 3 novembre, ce qui alimentera sans doute les reproches de ces secteurs, qui considèrent que la nouvelle loi vise à accorder plus de pouvoir au procureur général.

Cependant, le texte du nouveau Loecrim, avec 1.023 articles, prévoit que son entrée en vigueur aura lieu le 1er janvier 2028, ce qui affectera le procureur général issu des prochaines élections générales, qui, même si le PSOE devait gouverner à nouveau, ne pourra jamais être García Ortiz, puisqu'il a épuisé la limite de deux mandats prévue par la loi pour le chef du ministère public.

Entrée en vigueur en 2028

Le projet envisage également que l'attribution des enquêtes aux procureurs ne s'applique qu'aux dossiers ouverts après son entrée en vigueur, de sorte que toutes les procédures en cours à partir du 1er janvier 2028 continueront à être dirigées par les juges comme auparavant. Pour les nouveaux cas, des membres du ministère public dirigeront l'enquête, mais le processus sera toujours contrôlé par un juge des garanties, qui sera celui qui décidera de certains aspects procéduraux comme l'ouverture ou l'archivage de la procédure, le secret de la procédure et toute mesure affectant les droits fondamentaux, comme la détention préventive. Le juge tranchera également les appels présentés contre les décisions du procureur, ce qui, selon le gouvernement, accélérera le processus en évitant les retards qui surviennent actuellement avec les appels qui parviennent aux audiences provinciales.

Pour adapter le Parquet à ses nouvelles compétences, le Loecrim incorpore une réforme de la norme qui régit cette institution, le Statut Organique du Parquet (EOMF), une mesure que le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire (CGPJ) et le Parquet lui-même ont exigé pour protéger l'autonomie du ministère public et éviter que les procureurs subissent des pressions extérieures lorsqu'ils dirigent les enquêtes. Le texte réforme plusieurs aspects du statut actuel pour répondre à ces demandes, qui avaient également été réclamées par le Groupe d'États contre la corruption (Greco). Cet organisme dépendant du Conseil de l'Europe a appelé à plusieurs reprises dans ses rapports à une réforme du statut du ministère public, notamment en ce qui concerne la coïncidence du mandat du procureur général et de celui du gouvernement, sachant que la réglementation actuelle peut affecter la perception de l'indépendance.

Le projet du département dirigé par Félix Bolaños rompt ce lien. Le procureur général de l'État continuera à être nommé par l'exécutif, mais son mandat ne sera plus lié au pouvoir législatif et le chef du ministère public ne quittera pas le gouvernement qui l'a nommé, contrairement à ce qui se passe actuellement. Le texte prévoit un mandat de cinq ans non renouvelable pour le procureur général, sauf dans le cas où il occupe ce poste depuis moins d'un an. Ce changement implique que lors de la formation du Gouvernement, après une élection générale ou une motion de censure, le procureur général nommé par le précédent sera hérité. Pour éviter les tentations de licenciement en cas de désaccord du nouvel exécutif avec le procureur général, le projet maintient les causes établies de révocation du chef du ministère public, et dans le cas où le gouvernement envisage de le licencier pour manquement grave ou répété à ses fonctions (l'un des motifs de révocation désormais prévus), il exigera un rapport préalable du CGPJ.

Le nouveau texte vise également à renforcer l'autonomie des procureurs en interdisant au gouvernement de donner tout type d'indication sur des questions spécifiques au parquet et en interdisant que les communications entre le procureur général et l'exécutif soient faites par écrit et publiques. La nomination, la promotion et les sanctions des principaux procureurs sont attribuées au procureur général et non au gouvernement comme jusqu'à présent. Et en retour, le rôle du Collège des procureurs est renforcé, qui pourra imposer ses critères sur ceux du procureur général s'il a le soutien des trois cinquièmes de ses membres. Le projet envisage également des changements dans le Statut qui réglemente le ministère public pour l'adapter au nouveau rôle que joueront les procureurs, comme celui de diriger la police judiciaire dans ses fonctions d'enquête criminelle.

Les partis, en dehors de l'accusation populaire

Si elle se concrétise, le Loecrim impliquera également un changement dans la figure de l'accusation populaire qui, conformément à ce que la Cour suprême a demandé à plusieurs reprises, ne peut pas être exercée par les partis politiques, les syndicats ou les associations ou fondations qui en dépendent, une pratique qui s'est répandue ces dernières années, notamment dans les cas de corruption ou impliquant des hommes politiques. Ainsi, Vox, le PP ou le PSOE ont tendance à comparaître, voire à initier l'accusation, dans des procédures contre les accusations des autres partis, non seulement pour contribuer à encercler judiciairement le rival, mais aussi pour pouvoir avoir accès à toutes les informations incorporées dans l'affaire et en tirer un bénéfice politique. Les entités publiques (par exemple une mairie) ne peuvent pas non plus être des accusations populaires.

La proposition du gouvernement, selon des sources exécutives, limite l'exercice de l'action populaire à une liste de délits, parmi lesquels la corruption, les délits contre les droits des consommateurs, la haine, la violence contre les femmes ou le financement illégal des partis. Et il ne peut être exercé que par des associations ou des entités qui prouvent un « lien légitime » avec « l'intérêt public » qui est censé être défendu dans chaque cas, comme une association de femmes dans une affaire de violence de genre.