Un tribunal ouvre la porte pour déclarer des licenciements disciplinaires inadmissibles lorsque le travailleur n’est pas entendu

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Jugement important en matière de travail. Le Tribunal supérieur de justice des îles Baléares (TSJIB) a déclaré le licenciement d’un enseignant, accusé d’avoir harcelé plusieurs étudiantes, irrecevable, car l’administration ne lui a jamais donné l’occasion de s’expliquer et a opté pour son expulsion soudaine. La résolution est pertinente car elle va au-delà de la ligne définie jusqu’à présent par d’autres juridictions, qui admettaient qu’il n’était pas nécessaire d’écouter les salariés avant de sanctionner disciplinairement.

Dans l’arrêt du 13 février de cette année (et qui vous pouvez vérifier ici), les magistrats précisent que la direction du centre aurait dû entendre l’enseignant, lui expliquer la gravité des accusations portées contre lui et écouter sa version des faits avant de l’expulser. En n’agissant pas ainsi, il a violé son droit à la légitime défense et rompu l’impartialité de l’enquête. Par conséquent, ces circonstances rendent son licenciement abusif.

Pour parvenir à cette conclusion, le TSJ des îles Baléares sauve une loi que l’Espagne s’était engagée à respecter dans les années 1980, la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Plus précisément, son article 7 déclare que la relation de travail d’un travailleur ne doit pas être résiliée pour des raisons liées à sa conduite ou à ses prestations « avant qu’il n’ait eu la possibilité de se défendre contre les accusations portées contre lui ».

L’OIT explique que lorsqu’une personne est exposée à une sanction aussi lourde pour sa carrière et son avenir « il est essentiel qu’elle puisse se défendre ». Cette audience, précise l’organisation, doit toujours avoir lieu avant la formalisation du licenciement et ne peut être absorbée par le droit de la défense devant un tribunal. « L’important est que les accusations soient formulées et communiquées au travailleur sans ambiguïté et qu’on lui offre une réelle chance de se défendre. »

Débat

Xavier Pallarés, associé du travail chez Deloitte Legal, estime qu’il s’agit d’une « peine perturbatrice dans le domaine du travail » et qu' »elle atteindra vraisemblablement la Cour suprême », car elle est contraire à d’autres que différentes cours de justice ont récemment prononcées .. et même la Cour suprême elle-même, dans les années 80.

Bien que l’Espagne se soit engagée à respecter la convention de l’OIT, les autorités n’ont jamais entrepris la réforme législative nécessaire pour adapter la norme nationale. Actuellement, le statut des travailleurs n’établit que l’obligation d’audition préalable en cas de licenciement des travailleurs syndiqués, mais il ne dit rien sur l’obligation de rencontrer les salariés avant de les sanctionner pour motif disciplinaire.

Ce vide juridique a suscité quelques controverses. Par exemple, en 2008, le TSJ de Cantabrie a compris que l’article 7 controversé de l’accord 158 n’ajoutait rien de nouveau à la réglementation espagnole, qui permettait déjà au travailleur de contester le licenciement sur notification écrite et avant qu’il ne devienne pleinement effectif. De la même manière, le TSJ de Castilla y León, en 2012, a conclu qu’aucune conséquence pertinente ne pouvait être tirée de ce précepte, sauf qu’il voulait annuler la législation nationale.

nouveaux critères

La Cour suprême des Baléares, contrairement à ses homologues, défend que l’article 7 a un effet direct en Espagne. En effet, les lois internationales prennent effet dans les pays où elles ont été ratifiées, ce qui peut même signifier que leur application est distincte des réglementations nationales, qui sont de rang inférieur.

Ce droit à une audience préalable, comme le dit le tribunal, est indispensable en cas de licenciement disciplinaire. Plus si possible, ajoute-t-il, dans un cas comme celui-ci où le juge estime que « la gravité de la faute disciplinaire dépasse la sphère strictement professionnelle ou professionnelle, et touche d’autres domaines très sensibles de la personnalité ».

Sous ce parapluie, les magistrats acceptent que le harcèlement sexuel soit un problème courant dans les relations où il y a des flux de pouvoir, comme l’enseignement, mais ils sont catégoriques en le qualifiant d' »inexplicable » et de « difficile à justifier » que l’enseignant « ait été licencié sur la base d’accusations aussi graves sans avoir été préalablement entendu, ce qui remet directement en cause l’impartialité de l’enquête requise avant un non-lieu fondé sur une telle accusation ».

Ni le directeur, ni le responsable des études, ni la fondation dont relevait l’école d’art dramatique en question, ni l’inspection, ni l’institut féminin n’ont demandé d’explications au professeur, après avoir reçu une plainte formelle signée par plus de cinquante étudiantes, où il était accusé d’avoir tenu des propos sexistes et d’avoir harcelé sexuellement plusieurs élèves, selon les faits du jugement.

Pour tout cela, le licenciement est abusif, et le gouvernement des Baléares devra choisir entre trois options : soit faire appel de la peine, soit réintégrer l’enseignante – ce qui ouvre la porte à une nouvelle enquête sur des plaintes pour harcèlement sexuel, où cette fois si la les protocoles sont respectés–, soit l’indemniser de 64 000 euros pour les dommages causés.

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