Éducation et emploi : les deux visages du décrochage scolaire

L’Espagne a réalisé des progrès notables dans la réduction du décrochage scolaire. En une décennie, ce taux a diminué de près de moitié : passant de 21,9 % en 2014 à 13 % en 2024. Nous restons cependant parmi les pays de l’Union européenne ayant le pire bilan, puisque seule la Roumanie présente des chiffres pires. Au-delà de l'amélioration statistique, les données révèlent un problème structurel : une partie importante de nos jeunes continue d'être exclue du système éducatif avant d'avoir atteint une qualification professionnelle minimale. Et ce fait a des causes à la fois éducatives et économiques.

Les données des communautés autonomes montrent une relation claire entre la structure productive et l'abandon scolaire. Là où prédominent les secteurs offrant des emplois sans qualification – tourisme, agriculture intensive, construction traditionnelle ou services de base – les taux d’abandon montent en flèche. Dans des régions comme les Îles Baléares ou Murcie, où il est possible de travailler avec peu de formation, l'abandon dépasse les 18 %. En revanche, dans les territoires dotés d'un tissu industriel et technologique plus solide, comme le Pays basque ou la Navarre, les chiffres sont réduits à moins de 10 %.

Le modèle économique conditionne donc les attentes éducatives. Alors que le marché du travail offre des sorties rapides sans avoir besoin d’étudier davantage, de nombreux jeunes optent pour le raccourci consistant à entrer tôt sur le marché du travail. Mais cette voie, qui peut paraître séduisante à 17 ans, mène presque toujours à la précarité et à une vie professionnelle sans horizon de progression. C'est une dynamique qui non seulement appauvrit les trajectoires personnelles, mais entrave également la productivité et la compétitivité du pays. Dans les pays où l’économie tire l’éducation, le résultat est inverse. L'Allemagne, l'Autriche et les pays nordiques ont réussi à réduire drastiquement le décrochage scolaire car leur tissu productif requiert des qualifications et propose des formations liées à l'emploi. Ce ne sont pas seulement des modèles éducatifs efficaces, mais aussi des modèles économiques qui valorisent les connaissances et la formation technique.

Réduire l’abandon scolaire précoce nécessite une stratégie à deux volets. Dans le domaine éducatif, le soutien doit être renforcé dès les premiers stades, la démotivation doit être détectée précocement et l'orientation académique et professionnelle doit être améliorée. Mais cela ne suffit pas. Tant que le marché du travail maintiendra une porte d’entrée massive pour les jeunes non qualifiés, le problème persistera. Par conséquent, parallèlement aux mesures éducatives, il est également nécessaire d’intervenir sur le lieu de travail. L'Espagne a besoin d'un accord de base qui stipule qu'aucun jeune ne peut accéder à un emploi sans qualification professionnelle reconnue. C’est l’essentiel de la proposition de contrat de formation et d’apprentissage.

La mesure est à la fois simple et profonde : tous les jeunes qui quittent le système éducatif sans avoir obtenu au moins un diplôme de formation professionnelle intermédiaire ou équivalent ne devraient pouvoir être embauchés que par le biais d'un contrat de formation et d'apprentissage, combinant emploi et formation jusqu'à l'obtention d'une qualification professionnelle. Loin d'être une limitation, cette mesure serait une garantie des droits. Cela éviterait à des milliers de jeunes de se retrouver enfermés dans des emplois précaires et sans avenir, et permettrait que chaque premier contrat de travail devienne également un espace de formation. En outre, cela renforcerait le lien entre l’éducation et le travail, et alignerait les incitations de tous les acteurs : centres éducatifs, entreprises et administrations.

D’un point de vue économique, les avantages seraient évidents. Un plus grand nombre de jeunes ayant une formation technique augmenterait la productivité et réduirait l’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre. D’un point de vue social, cela briserait le cercle vicieux entre abandon, précarité et exclusion. Et d’un point de vue éthique, cela garantirait qu’aucun jeune ne soit laissé sans la possibilité de se former pour développer son talent.

Pour que cette mesure fonctionne, elle doit être accompagnée d’un ensemble de politiques complémentaires. Premièrement, il est essentiel d’élargir l’offre de formation professionnelle, notamment dans les zones rurales et dans les régions disposant de moins de centres, afin que tous les jeunes disposent d’une alternative de formation accessible et de qualité. L'expansion de l'EFP ne peut se limiter à une augmentation du nombre de places, mais doit intégrer de nouvelles familles professionnelles liées aux secteurs émergents : numérisation, durabilité, énergie verte et soins. Deuxièmement, il est essentiel de renforcer l’orientation éducative et professionnelle dès les premiers stades de l’ESO. Les étudiants ont besoin d'une réelle information sur les possibilités offertes par les différents parcours de formation et d'un lien direct avec le monde du travail. Pour y parvenir, les centres éducatifs doivent collaborer de manière stable avec les entreprises, les syndicats, les chambres de commerce et les services publics de l'emploi, en intégrant ces réseaux dans leurs projets éducatifs.

Une politique ambitieuse de bourses et d'aides spécifiques est également nécessaire pour compenser le coût d'opportunité de la poursuite des études pour les familles ayant moins de ressources. L’égalité des chances ne s’obtient pas seulement en ouvrant les portes, mais en aidant chacun à les franchir. De la même manière, il est nécessaire d'impliquer activement le monde des affaires, en offrant des incitations fiscales et des primes aux entreprises qui optent pour la formation en alternance et l'embauche avec apprentissage comme moyen d'accéder à un emploi qualifié. Enfin, il est essentiel de reconnaître et d'accréditer les compétences professionnelles de ceux qui travaillent déjà sans qualification, en permettant leur intégration dans des itinéraires de formation flexibles. Cette politique d'accréditation permanente réduirait la segmentation entre ceux qui sont diplômés et ceux qui ne le sont pas, et favoriserait la mobilité du travail et la mise à jour professionnelle.

L’Espagne ne peut pas aspirer à une économie à haute valeur ajoutée avec un système éducatif qui laisse de côté une partie de sa jeunesse. Réduire l’abandon scolaire précoce n’est pas seulement un objectif éducatif : c’est une politique nationale. L’Europe qui fonctionne – celle qui allie bien-être, productivité et cohésion sociale – l’entend ainsi depuis des années. L'abandon n'est pas une fatalité. C’est le résultat de décisions politiques et de structures économiques qui permettent encore des trajectoires de non-retour. Si nous voulons garantir un avenir décent à tous les jeunes, nous devons fermer ces voies de fuite et les remplacer par des voies d’apprentissage tout au long de la vie.

Le contrat de formation et d’apprentissage n’est pas un simple instrument administratif. Il s'agit d'un engagement stratégique : lier éducation et emploi afin qu'aucun jeune ne soit laissé sans qualification et pour que l'Espagne consolide un modèle de développement économique durable et compétitif, parmi les plus avancés d'Europe. Un modèle qui, à son tour, permet une société plus cohésive et plus juste, offrant davantage de possibilités à chacun.