Au sein du système judiciaire guatémaltèque, il y a des clés qui ne ressemblent pas à la justice, mais plutôt à l'impunité. C'est sur eux que fait pression depuis des années la procureure générale María Consuelo Porras Argueta, pièce maîtresse d'un mécanisme qui a vidé le ministère public de son sens et l'a mis au service des puissants. Les mêmes qui résistent au pays face à ses blessures passées et qui entravent aujourd'hui les projets démocratiques et de modernisation du président Arévalo.
Au profit des criminels
Rien ne symbolise mieux cette capture institutionnelle que la récente manœuvre dans l’affaire Diario Militar, le processus judiciaire le plus emblématique d’enquêtes pénales sur les crimes d’État commis pendant le conflit armé interne (1960-1996).
Après quatre décennies d'enquête, plus de 7 000 éléments de preuve, une centaine de témoignages de survivants et la récupération des restes de personnes disparues dans des installations militaires, le Bureau du Procureur des Droits de l'Homme, sous la tutelle de Porras et dirigé par Noé Nehemías Rivera Vásquez, a demandé la « clôture provisoire » de l'affaire, en recherchant l'impunité.
Un acte ouvertement illégal, contraire au dossier fiscal lui-même et au profit direct des personnes accusées de crimes contre l'humanité, de disparition forcée et d'assassinat.
Un pacte d'impunité
Cette décision n'est pas un événement isolé. Cela fait partie de ce qui protège depuis des années ceux qui – en uniforme ou en toge – utilisaient l’État pour réprimer et disparaître.
Le ministère public a ignoré les arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui obligent le Guatemala à enquêter et à punir les responsables de ces atrocités. Il a préféré persécuter les juges, les procureurs et les journalistes qui osaient toucher aux intérêts du pouvoir.
Il n’est donc pas surprenant que Consuelo Porras ait été identifiée par le Département d’État américain comme l’une des responsables.
Clarté et courage
Face à ce sombre tableau, la récente déclaration du président Bernardo Arévalo marque un tournant.
Avec clarté et courage, il a dénoncé celui du système judiciaire et a exigé que les institutions soient au service du peuple et non des élites de la peur.
Son message n’est pas rhétorique : c’est un appel à sauver la légitimité de l’État face à une justice kidnappée par les intérêts industriels et militaires. Arévalo incarne un espoir démocratique que certains acteurs du pouvoir judiciaire tentent de neutraliser.
La même machine qui a persécuté Thelma Aldana, Juan Francisco Sandoval et les procureurs de la défunte société qui ont collaboré avec la CICIG cherche désormais à se protéger avant que le changement politique ne la démantèle.
D'où l'urgence de démanteler les « clés corrompues » du système judiciaire : les parquets cooptés, les tribunaux colonisés, les juges de la peur.
Mémoire et avenir
Le Guatemala doit se réconcilier ; mais pas avec l'oubli, mais avec la vérité.
Les organisations de victimes – FAMDEGUA, GAM, CALDH, UDEFEGUA – ont rappelé dignement cette semaine : leur lutte de plus de quarante ans ne peut être enterrée par l'apathie ou la complicité des procureurs.
La clôture de l'affaire Diario Militar n'offense pas seulement les victimes ; insulte le pays tout entier et le droit international. et ne tient pas compte de la décision de la Cour interaméricaine de 2012 qui ordonne une enquête, un procès et une sanction. Il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre les victimes : c’est un affront à l’État de droit.
Le mandat de Porras se termine dans huit mois.
Le défi pour le gouvernement démocratique d'Arévalo sera de garantir que cette fin ne soit pas une simple rotation des noms, mais plutôt le début d'une reconstruction morale de la justice guatémaltèque. Les institutions démocratiques du Guatemala trouveront sûrement un moyen de s'exprimer en faveur de la justice et de la transparence en soutenant l'usage que le président Arévalo décide de faire de son droit de demander à la Commission interaméricaine des droits de l'homme d'inciter la Cour interaméricaine des droits de l'homme (qui peut rendre des décisions obligatoires).
Ce n’est qu’alors que le pays cessera de jouer les notes de l’impunité et pourra enfin entendre la musique de la justice. Arévalo a entre les mains un outil constitutionnel puissant.
La loi organique du ministère public autorise le président à demander la révocation du procureur général en cas de faute grave ou d'action contraire aux intérêts de la nation. La procédure nécessite le vote du Conseil du ministère public, mais si celui-ci – contrôlé par Porras – « détourne le regard », l'Exécutif peut faire appel à la Commission interaméricaine des droits de l'homme, en lui demandant de demander à la Cour interaméricaine d'ordonner à son tour à l'État de destituer Porras, de garantir l'indépendance du parquet et de protéger le processus judiciaire. Autrement dit, il existe des canaux institutionnels disponibles.
Au Guatemala, l’impunité a depuis trop longtemps un nom et un visage. Si la communauté internationale reste silencieuse, les fantômes d’un passé qui refuse de mourir reviendront. Le président Arévalo a fait sa part : il a nommé les choses par leur nom. Il est maintenant temps de franchir une étape supplémentaire et importante pour agir – avec la Constitution en main et avec le système interaméricain – afin que la justice cesse d’être l’otage de ceux qui la craignent.